jeudi 5 octobre 2006

Ubuntu veut-il devenir le prochain Microsoft ?

Lors de la conférence EuroOSCON, la semaine passée, le fondateur d'Ubuntu, Mark Shuttleworth, a déclaré qu'il entendait faire de sa distribution Linux bien plus qu'un simple système d'exploitation open-source parmi tant d'autres. Il veut non seulement apporter le contenant (dans ce cas, le système d'exploitation), mais aussi le contenu (logiciel). Voilà une optique qui rappelle étrangement celle adoptée par une petite firme de la banlieue de Seattle...

Micro-Buntu...?

Ubuntu peopleMark Shuttleworth a-t-il les yeux plus gros que le ventre, lorsqu'il prédit à Ubuntu, son bébé, un avenir de grand pourvoyeur de contenu logiciel pour la communauté Linux ? On pourrait le penser, mais notre homme, bien qu'il ait déjà voyagé dans les étoiles, a tout de même les pieds bien ancrés par terre. Il commence par expliquer combien il trouve dangereux le modèle actuel, tel que mis en place par Microsoft : pour installer un logiciel sous Windows, il suffit généralement de double-cliquer sur l'icône représentant un fichier exécutable (extension en ".exe") ou une archive compressée, et de suivre quelques étapes simples, avant de pouvoir utiliser ledit logiciel. Microsoft, conscient que le système est loin d'être parfait, a tout de même tenté de rectifier le tir avec ses installeurs MSI (pour Microsoft Installer), mais on est à des années-lumière des images-disques choisies par Apple pour installer des applications sur ses Macintosh. Ces dernières sont en effet bien plus faciles à désinstaller que les programmes sous Windows, et laissent en général beaucoup moins de traces ensuite...


Grands desseins

Lors de son exposé, Mark Shuttleworth est ensuite passé à la vitesse supérieure, en imaginant un système qui ne nécessiterait plus de recherche de la part de l'utilisateur pour installer des logiciels-tiers, dans la mesure où ils seraient déjà présents dans le système d'exploitation. Selon Shuttleworth, une distribution Ubuntu devrait inclure tous les logiciels qu'un utilisateur est susceptible de désirer, ce qui revient à dire que la personne assise derrière le clavier (et devant l'écran, si elle a un brin de jugeote) deviendrait un passager de sa propre machine. D'après son fondateur, tout utilisateur d'Ubuntu devrait accéder à un catalogue de logiciels compatibles directement sur le serveur de l'éditeur, sans aller faire ses emplettes ailleurs. D'autres éditeurs procèdent déjà de cette manière, à l'image de PCBSD, mais ils ne jouissent pas, hélas pour eux, de la même audience qu'Ubuntu.


Rêves de domination ?

Il serait d'autant plus dommage que ce dernier nous la joue "maître du monde" qu'il a largement contribué à rendre Linux attrayant pour le commun des mortels, à savoir celles et ceux qui ne savent pas exactement ce qui se passe dans leur PC lorsqu'ils cliquent sur une icône ou sur un lien, et ils sont nombreux... Imaginer une sorte de catalogue de programmes dûment enregistrés et testés pour leur compatibilité avec Ubuntu ne tiendrait pas de la science-fiction, d'autant que l'intégration de ces programmes ne devrait, en toute logique, poser aucun problème. Il n'empêche, où passe le libre-arbitre du consommateur, en pareil cas ?

On en revient à ce vieux cercle "vicieux" (à Redmond, on le qualifie plutôt de vertueux...) selon lequel on choisit Windows parce que le ou les logiciels que l'on va devoir utiliser ont été conçus pour ce système
d'exploitation. C'est de moins en moins vrai, et chaque plate-forme "alternative" gagne régulièrement ses propres dérivés des applications les plus courues, mais dans le secteur professionnel, il existe encore des incompatibilités insolubles, qui imposent de recourir à Windows. La querelle des anciens et des modernes (ne me demandez pas qui est qui !) à propos de l'intérêt, voire du caractère judicieux, de l'utilisation de logiciels propriétaires sur des systèmes open-source n'a pas encore choisi de s'éteindre, mais une chose est sûre : à vouloir trop réfléchir à la place des gens, on finit par croire que l'on sait comment ils pensent ; et en général, on se trompe... Le philosophe français Joseph Joubert a un jour écrit : "Nous pouvons convaincre les autres grâce à nos arguments, mais nous ne les persuaderons qu'à travers les leurs." A méditer.


Simple... sur le papier

Pour autant, les intentions d'Ubuntu sont louables, en ce sens qu'elles entendent simplifier la vie de l'utilisateur, ce qui finira par se savoir, et attirera davantage de "clients" vers cette plate-forme un peu mystérieuse qu'est Linux. De nos jours, il faut avoir quelques connaissances en informatique pour installer le plus petit des programmes sur Linux : pour un simple plug-in du FlashPlayer d'Adobe-Macromedia, il faut passer par plusieurs étapes, alors que sous Windows, en deux clics, c'est fait, sans même fermer le navigateur (le plus souvent un membre de la famille Mozilla) auquel il est destiné. S'inspirer de cette facilité n'est certainement pas répréhensible, mais il faudra trouver un moyen d'éviter les travers dans lesquels Microsoft se débat depuis maintenant deux décennies. Loin de résoudre les problèmes, un catalogue imposé d'applications ne ferait qu'éloigner ceux qui recherchent précisément dans l'open-source en général, et dans Linux en particulier, un peu plus de liberté de manoeuvre. En revanche, simplifier les processus d'installation de nouveaux logiciels pourrait mettre tout le monde d'accord. Les anciens comme les modernes...

Au préalable, il faudra que les développeurs eux-même s'entendent sur la meilleure (s'il en existe une) manière d'empaqueter un logiciel. La querelle entre tenants du RPM (Red Hat Package Manager), défenseurs du dpkg (Debian/Linux Package Manager) et ardents protecteurs de telle ou telle autre méthode d'installation de logiciels n'est pas près de s'éteindre, elle non plus, mais elle parviendrait presque à faire oublier que la ventilation des fichiers programmes dans Linux est par essence très diversifiée. Certains iront dans des répertoires système, d'autres seront directement rattachés à la partie de l'arborescence de l'utilisateur, etc.. Du coup, les chemins d'installation sont parfois difficiles à appréhender pour l'utilisateur lambda, alors qu'il s'agit précisément de ce qu'il apprécie le plus sous Windows : on ne lui demande rien. Peut-être que finalement, la méthode choisie par Apple pour MacOS X est le meilleur compromis, mais il faudrait d'abord que les éditeurs s'entendent un peu entre eux, et uniformisent leurs formats respectifs. Resterait à résoudre la question des mises à jour, le plus souvent liées à la sécurité, ces temps-ci. Et à faire disparaître les incompatibilités qui subsistent encore entre les différentes distributions Linux, voire, parfois, entre deux variantes de la même distribution.

Le succès, et l'essor, de Linux dans les dix prochaines années pourrait bien dépendre de sa capacité collective à se souvenir que dans chaque utilisateur ne sommeille pas un spécialiste en informatique, et que ne rien connaître à l'automobile n'a jamais empêché personne de conduire. Bien sûr, en cas de panne, c'est une autre affaire...

05/10/2006 09:53:35 par Ange-Gabriel C.

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